samedi 20 juin 2015

Le crowdsourcing et ses incitatifs à la créativités!

J’aimerais en premier lieu remercier Marc-André Fournier, Patrick Lepage et Fabrice Olivier qui m’ont autorisé à publier ce texte que nous avions originalement écrit dans le cadre d’un travail dans notre cours de MBA à l’UQÀM.

Le « crowdsourcing » est apparu au début des années 2000, immédiatement après l’explosion de la popularité d’Internet et la naissance du Web 2.0 [i]. En effet, certaines organisations ont vu l’intérêt d’utiliser cette popularité comme levier pour mettre à profit l’intelligence collective des communautés en ligne. Cette approche favorisait la réalisation de leurs objectifs d’affaires en augmentant la participation du public dans la gouvernance, le design et le développement des produits ainsi que dans la résolution des problèmes [ii]. Avant d’aborder les caractéristiques des concours ouverts d’innovation (un des types de « crowdsourcing ») comme incitatifs à la créativité, permettez-moi d’expliquer la différence entre les projets internes de recherche et développement (R et D), les simples appels d’offres et les concours ouverts d’innovation.

Les projets internes :

Les projets internes de R et D présentent un requis, qui provient d’un requérant de l’organisation, et qui est demandé à un fournisseur, dans ce cas-ci l’équipe interne de R et D de l’organisation, qu’elle soit composée d’un seul ou de plusieurs individus. Le fournisseur développe la solution au meilleur de ses connaissances pour la livrer au requérant. On peut imager cela comme une « relation de un à un », car, pour une demande d’un requérant, il y a une solution qui sera livrée. De plus, le requérant n’a pas le choix du fournisseur, car tout se passe à même l’organisation. Une fois la solution livrée, le requérant n’aura en fin de compte que deux choix : refuser la solution proposée par son seul fournisseur ou l’accepter telle qu’elle est livrée.



Les appels d'offres :

Dans les simples appels d’offres (outsourcing en anglais), on retrouve toujours ce même requis, mais le requérant le distribue à plusieurs fournisseurs qui sont externes à l’organisation. Cet envoi se fait par l’utilisation d’outils spécialisés ou tout simplement par le réseau du requérant. Les fournisseurs ont alors la possibilité de participer à l’appel d’offres (représenté par les crochets dans les cercles verts du graphique ci-dessous) ou de ne pas y participer (représenté par les X dans les cercles rouges du graphique ci-dessous). Les fournisseurs, qui veulent participer, fournissent un devis au requérant. Le requérant choisi alors parmi les propositions des fournisseurs. Lorsque son choix est fait (les fournisseurs biffés ci-dessous représentent les fournisseurs qui n’ont pas été retenus), une entente sera entérinée et le fournisseur procèdera au développement de la solution qu’il a proposée. Bien que le requérant ait le choix du fournisseur, nous sommes encore en présence d’une « relation de un à un », car pour une demande d’un requérant, il n’y aura à nouveau qu’une seule solution livrée. Comme dans le cas précédent, une fois la solution livrée, le requérant n’aura en fin de compte que deux choix : refuser la solution proposée par le fournisseur qu’il aura choisi au préalable ou accepter la solution telle qu’elle est livrée.

Les concours ouverts d'innovation :

Pour les concours ouverts d’innovation (crowdsourcing), le requérant envoie son requis à la masse (les fournisseurs) sous forme d’épreuve, par le biais du Web 2.0. Une première différence est que cette approche lui permet de joindre un nombre de fournisseurs potentiellement plus grand comparativement aux méthodes traditionnelles d’appels d’offres. Tout comme pour les appels d’offres, les fournisseurs ont alors la possibilité de participer au concours (représenté par les crochets dans les cercles verts du graphique ci-dessous) ou de ne pas y participer (représenté par les X dans les cercles rouges du graphique ci-dessous). La deuxième différence importante est que tous ces candidats (les fournisseurs) seront dès lors en concurrence pour fournir la meilleure solution. Le requérant ne choisira pas le fournisseur qui fera la solution en amont (donc basé sur une proposition de solution et non une solution déjà développée). Le requérant fera son choix en aval, c’est-à-dire qu’il choisira plutôt la meilleure solution parmi toutes celles qui auront été développées par les fournisseurs participants au concours. Ce n’est qu’à ce moment que l’entente sera entérinée entre le requérant et le fournisseur dont la solution aura été retenue. Nous sommes donc en présence d’une « relation un à plusieurs », car pour une demande il y aura plusieurs solutions!

Les incitatifs à la créativité :

Cette distinction est importante pour bien comprendre les incitatifs à la créativité, c’est-à-dire le pouvoir de création, d’innovation et d’imagination de ce modèle. La première caractéristique repose sur le fait que ce sont les candidats (les fournisseurs) qui choisissent les projets auxquels ils participeront; ils sont donc des volontaires! Puisqu’ils choisissent eux même de participer en étant conscients des risques, mais aussi des gains potentiels, leurs motivations deviennent intrinsèques. Selon la théorie de Vroom [iii], les individus croient que leurs efforts les conduiront à atteindre un certain niveau de performance, elle-même source de résultats ou de récompenses qu’ils valorisent. La motivation du volontarisme est donc la première caractéristique génératrice de créativité.

Dans un modèle de « crowdsourcing », j’ai déjà expliqué que le requérant choisit la solution en aval et non pas le fournisseur en amont du développement de la solution. En ne faisant pas le choix du fournisseur en amont, le requérant se retire de la proposition de la solution (son design) et n’offre pas de résistance ou de restriction à la créativité. Même si les organisations (dans ce cas-ci les requérants) ne limitent pas intentionnellement la créativité, ce sont les croyances, la culture d’organisation et la pression d’apporter rapidement de la valeur ajoutée à l’organisation, qui pousse celles-ci à diminuer le risque lorsqu’elles doivent faire un choix pour le développement d’une solution [iv]. En retirant cette pression des requérants et en donnant carte blanche aux concurrents (les fournisseurs), on libère ces derniers des contraintes organisationnelles et on laisse libre cours à leurs créativités pour le développement de la solution. De plus, l’autonomie, l’agilité, la simplicité (minimalisation de la bureaucratie) et le pouvoir décisionnel des équipes de travail (les fournisseurs) sont d’autres éléments primordiaux pour l’émancipation de la créativité. Cette liberté constitue la deuxième caractéristique d’incitatif à la créativité.

La troisième caractéristique d’incitatif à la créativité est reliée au concours, à la transparence des règles qui y sont associées et à son impartialité. Si tous les candidats savent qu’ils partent sur un pied d’égalité et que tous les fournisseurs ont une chance de remporter l’épreuve, et les bénéfices qui y sont associés, ces derniers feront tout pour supplanter la concurrence avec leur solution finale. Ils devront donc s’assurer de livrer la meilleure solution et, pour y arriver, ils devront se surpasser. Ainsi donc, cela force les concurrents à être créatifs dans le développement de leur solution.

Le fait que les fournisseurs travaillent tous sur le même projet afin de développer la solution qui leur permettra de remporter la compétition et la récompense qui y est rattachée représente la quatrième caractéristique d’incitatif à la créativité. Étant donné que les participants mettront tout en œuvre pour présenter la meilleure solution, celle qui devancera toutes les autres, ils seront incités à être créatifs pour se différencier.

Enfin, une cinquième et dernière caractéristique est que le « crowdsourcing » permet aux fournisseurs (les participants) inexpérimentés de se faire connaître, même s’ils n’ont pas encore acquis la notoriété dont disposent les fournisseurs de plus grande expérience. Mais pour se faire remarquer, ils devront recourir à la créativité, ce qui poussera aussi les autres fournisseurs plus expérimentés à utiliser une stratégie de créativité pour avoir une solution gagnante!

Nul doute que le crowdsourcing prendra une place plus importante dans les années à venir et que cette façon innovante de travailler aura un impact sur le modèle de livraison des solutions en technologie de l’information et des communications!

© 2015 Simon-Pierre Marion tous droits réservés
________________________________
[i] Le Web 2.0 représente l’évolution, de ce qu’était le Web à l’origine, comme une plate-forme d’un ensemble de principes et de pratiques, qui tire parti de l’intelligence collective et de la puissance des données, en étant perçu non pas comme un produit mais un service qui se libère de l’emprise du PC tout en enrichissant les interfaces utilisateurs tout en simplifiant la conception technique.
O’Reilly, T., Boisseau, J.-B., Kaplan, D., 2006. Qu’est ce que le web 2.0: Modèles de conception 

[ii] Brabham, D.C., 2013. Crowdsourcing, The MIT Press essential knowledge series. The MIT Press, Cambridge, Massachusetts; London, England.
[iii] Vroom, V.H., 1967. Work and Motivation. John Wiley & Sons, New-York.
[iv] Amabile, T., 1998. How to Kill Creativity. Harv. Bus. Rev. 1998, 13.