vendredi 31 janvier 2014

David contre Goliath au carré!

À la suite de la parution de mon article sur la « Mondialisation des brevets », publié à la mi-janvier, j’aimerais attirer votre attention sur deux nouvelles reliées au monde des brevets et technologies qui sont passées presque inaperçues.

La première nouvelle concerne les deux géants de l’innovation, Samsung et Google, lesquels ont signé un accord, le 24 janvier dernier, afin de partager le contenu des brevets de plusieurs de leurs portfolios technologiques et cela dans tous les pays de publication[i]. Grâce à cet accord, Samsung et Google pourront accéder à toutes leurs informations stratégiques, actuels et futurs, pour les dix prochaines années.
                                                                                                               
La deuxième nouvelle, parue le 29 janvier, nous apprend que Google a vendu tous ses droits relatifs aux téléphones intelligents Motorola, qu’il avait achetés pour 12,5 milliards de dollars en 2012, à la compagnie Lenovo pour une somme beaucoup moins importante de 2,9 milliards[ii].  Il faut toutefois noter que cette transaction exclue la majorité des brevets que Google avait achetés de Motorola en 2012.

Lorsque nous prenons le temps de bien comprendre la portée de ses deux nouvelles, c’est très clair ! Le message que Samsung et Google envoient à toute l’industrie des technologies, est que cette nouvelle vision de collaboration et de partage d’innovations sera plus profitable que les éternelles poursuites du non-respect de leur propriété intellectuelle.

Il s’agit du même coup d’un repositionnement stratégique très important dans l’écosystème du secteur des technologies de l’information et des communications (TIC)[iii], puisque Samsung pourra concentrer ses efforts afin d’augmenter sa part de marché en tant que manufacturier d’équipement TI (téléphones intelligents et tablettes), alors que Google délaissera ce marché pour maximiser sa dominance comme producteur de plateformes (Android), de contenus et d’applications.  Du même coup, les deux organisations pourront arrimer leur développement stratégique dans une même direction afin de fournir aux clients une expérience encore plus enrichissante.

Il faut reconnaître que c’est un choix logique, car Samsung utilisait déjà la plateforme et les logiciels de Google pour ses propres tablettes et ses téléphones intelligents.  De plus, ceci cadre bien avec la nouvelle philosophie de Samsung qui vise à intégrer les traditions asiatiques aux méthodes américaines[iv].  Google, de son côté, pourra continuer sa R&D (recherche et développement) dans des domaines d’innovation encore sous-développés tels que la domotique ou l’intégration aux automobiles.

L’avenir nous dira jusqu’à quel point cette alliance sera fructueuse pour ses deux Goliath, mais d’ici là, je vous parie que les dirigeants de leurs concurrents doivent se questionner sérieusement sur l’impact que ces orientations nouvelles auront sur leurs positionnement dans le marché!

Goliath viens de se défaire de son talon d’Achille, David n’a plus aucune chance !

Qu’en pensez-vous?





[i] “Samsung and Google Sign Global Patent License Agreement | Samsung Electronics Official Blog: Samsung Tomorrow,” Samsung Tomorrow, accessed January 31, 2014, http://global.samsungtomorrow.com/?p=33461.
[ii] “Google vend Motorola Mobility à Lenovo,” Les Affaires, January 29, 2014, sec. Techno.
[iii] Martin Fransman and Cambridge University Press, The New ICT Ecosystem Implications for Policy and Regulation (Cambridge: Cambridge University Press, 2010).
[iv] Tarun Khanna, Jaeyong Song, and Kyungmook Lee, “The Globe: The Paradox of Samsung’s Rise,” Harvard Business Review, July 2011.

jeudi 16 janvier 2014

La mondialisation des brevets



Comme je le mentionnais dans mon article « l’innovation n’est pas qu’une simple invention », il n’est pas nécessaire d’avoir un brevet pour innover.

Par contre, pour les entreprises technologiques, le brevet constitue un outil important pour ses opérations, car elle donne un droit, non pas d’exploitation, mais d’interdiction d’exploitation par un tiers de l’invention brevetée, à partir d’une certaine date et pour une durée limitée.

Pour démontrer l’importance des brevets, un groupe de chercheurs, aux États-Unis, ont compilé 30 années de données sur les dépenses des organisations en recherche et développement.  Ils ont ensuite comparé ces données avec les revenus des ventes de même que des produits mis en marché et de l’habileté à produire d’autres brevets de qualité de l’organisation.
Les chercheurs ont alors découvert un pattern : les compagnies qui avaient un gros budget en recherche et développement, combiné à un bon historique d’exploitation de leur innovation, ont connu du succès l’année suivante dans 70% du temps[i].

Évidemment, le synchronisme pour breveter une invention est important, car si vous exposez votre idée trop rapidement, vos concurrents pourraient concevoir d’autres inventions meilleures que la vôtre et prendre votre part de marché!

Mais le synchronisme, s’il est important, devient très épineux, car la mondialisation des marchés apporte des complexités supplémentaires aux brevetages des inventions.
  • La première complexité est que les brevets doivent se faire dans chacun des pays ou États. Il existe tout de même maintenant une façon simplifiée de protéger rapidement ses inventions dans un peu plus de 180 pays (États) par le biais du système PCT (Patent Cooperation Treaty)[ii] qui fut mis en place par l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle).  Il existe aussi un système pour les pays européens, l’OEB (Office européen des Brevets)[iii].  Mais, même dans ces deux cas, si l’invention est protégée symboliquement pendant une période de temps pour tous les pays membres, le résultat final est que le dépositaire doit enregistrer ses brevets dans chaque pays!  Ce n’est pas une mince tâche.
  • La deuxième complexité est de nature juridique.  Une fois notre brevet enregistré dans chaque pays, il faut parallèlement faire des procès dans tous les pays en cas de litige ou de contrefaçon.  Aussi, il n’y a aucune garantie que les jugements seront les mêmes d’un pays à l’autre…

     
  • La troisième problématique est que le temps d’attente, le coût et la qualité des dépôts des brevets varient énormément d’un pays à l’autre.  Plusieurs auteurs relatent cette problématique.  En 2011, «Bruno van Pottelsberghe de la Potterie» a fait une étude comparative entre le Japon, les États-Unis et l’OEB (Europe)[iv].  Il a noté que la qualité des dépôts en Europe est très élevée, mais que le coût est beaucoup plus élevé qu’aux États-Unis, tandis que le Japon se retrouve entre les deux autant du côté des coûts que de la qualité.  C’est aussi un constat similaire qui est fait dans l’article « Complexity and Path Dependence in Biotechnology Innovation Systems »[v] de monsieur Jorge Niosi.




Je crois que la seule façon de résoudre cette problématique mondiale est de briser les barrières territoriales et de fournir notre monde d’un véritable système centralisé de gestion des brevets (qu’un organisme comme l’OMPI pourrait gérer), valide également dans tous les pays participants et dotés d’une cour internationale qui pourrait appliquer son jugement dans tous les pays!

Bon, j’admets que ma pensée est utopique à court, moyen et long terme, puisqu’aucun pays ne voudra se départir de son droit de jugement afin de protéger ses intérêts et les intérêts des organisations qui permettent au pays de prospérer.  J’ai tout de même le droit de rêver :)

Et vous, comment pensez-vous que nous pourrions améliorer le système des brevets?






[i] Christopher Malloy, Lauren Cohen, and Karl Diether, “Wall Street Doesn’t Understand Innovation,” Harvard Business Review Magazine, December 2012, http://hbr.org/2012/12/wall-street-doesnt-understand-innovation/ar/1.
[ii] OMPI, “PCT - Le système international des brevets,” Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, January 16, 2014, http://www.wipo.int/pct/fr/.
[iii] OEB, “Office Européen Des Brevets,” OEB, January 16, 2014, http://www.epo.org/index_fr.html.
[iv] Bruno van Pottelsberghe de la Potterie, “The Quality Factor in Patent Systems” (ECARES, July 2010), http://is.jrc.ec.europa.eu/pages/ISG/patents/documents/2010-027-VANPOTTESLBERGHE-qualityfactor.pdf.
[v] Jorge Niosi, “Complexity and Path Dependence in Biotechnology Innovation Systems,” Industrial and Corporate Change 20, no. 6, Oxford University Press (2011): 1795–1826.