dimanche 13 avril 2014

Vers un système d’innovation national axé sur la sécurité?

La récente catastrophe en sécurité informatique, le virus Heartbleed, m’amène à la réflexion suivante : est-ce que cet évènement amènera les systèmes nationaux d’innovation (SNI) vers une nouvelle tangente, soit celle de la sécurité des données électroniques?

Pour ceux qui ne le savent pas encore, Heartbleed est un défaut de fonctionnement du logiciel OpenSSL qui permet à des pirates informatiques d’obtenir des renseignements personnels sur les internautes auprès de sites web et des serveurs que ces derniers utilisent.  La faille existe depuis au moins deux ans et ne laisse aucune trace, lorsqu’empruntée.  Donc, impossible de savoir si on vous a dérobé de l’information confidentielle!  Puisque OpenSSL est un logiciel très utilisé, on estime qu’environ les deux tiers d’internet auraient pu être infiltrés [i]… Ça fait réfléchir.

C’est pour cette raison que je m’interroge sur la question de la sécurité des données électroniques, en particulier dans le cas du Canada, puisque l’Agence du revenu du Canada ainsi que d’autres secteurs du gouvernement fédéral ont suspendu leurs services en ligne depuis déjà plusieurs jours.

Pour bien comprendre mon raisonnement, je dois vous expliquer ce qu’est un SNI.  Christopher Freeman (1921-2010) [ii], un économiste qui a été le fondateur et premier directeur du « Science and Technology Policy Research » à l’université Sussex  fut un des premiers à définir les SNI, en 1987 comme suit :
« C’est l’ensemble des institutions dans les secteurs privé et public dont les activités et interactions démarrent, importent, modifient et diffusent de nouvelles technologies. »[iii]
Ces interactions se font généralement par regroupement géographique, soit à l’échelle nationale, régionale ou métropolitaine.  Les pays les plus industrialisés sont généralement ceux qui prennent pleinement conscience de leur SNI et les gouvernements les appuient grâce à la mise en place de programmes pour guider leur évolution vers ce qu’ils estiment avoir un grand potentiel pour leur développement économique.

C’est un autre économiste, Bruno Amable, qui, en 1997, tentera un regroupement des SNI en quatre grands types [iv] :
  1. Le système marchand (Royaume-Uni, États-Unis, Canada et Australie), qui se spécialise dans les secteurs de l’aéronautique, de la chimie, de l’électronique (TIC) et de la pharmaceutique.  Le système marchand est aussi caractérisé par une R-D militaire forte (à quelques exceptions près) et par des dépenses élevées dans l’enseignement supérieur.
  2. Le système issu de l’intégration européenne (Allemagne, Belgique, France, Italie, Pays-Bas, etc.), lequel se spécialise aussi en aéronautique, chimie et pharmaceutique, mais qui est très faible dans le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC) ainsi que dans les ressources naturelles.  Ce groupe est cependant très peu cohérent à cause des grandes variations culturelles et financières entre les pays.
  3. Le système social-démocrate (Danemark, Finlande, Norvège et Suède), qui se spécialise dans les secteurs des ressources naturelles, des biens d’équipement et de transport ainsi que dans les TIC.  Le type social-démocrate dépense aussi beaucoup en éducation supérieure, mais leur système financier est généralement faible.
  4. Le système corporatiste (Japon, Corée), qui se spécialise dans les secteurs de l’automobile et de l’électronique.  Les recherches et investissements du système corporatif sont cependant axés vers l’industrie elle-même et non pas vers la science.
Le Canada est issu du système marchand [v], mais, contrairement à ses pairs, il n’a pas investi beaucoup, historiquement, dans le secteur de la sécurité, que ce soit au point de vue du militaire ou de l’électronique (TIC).  Est-ce que ce fut une erreur?  On peut le croire,  considérant l’état de la situation actuelle avec le virus Heartbleed!

À mon avis, notre système national d’innovation canadien, et en tête de liste le « Conseil national de recherches Canada »[vi], devra se réorienter et rediriger une plus forte proportion des investissements en innovation pour la protection de nos renseignements, car en ce moment, la situation que nous vivons n’est pas simplement une question de perte de mot de passe, mais bien de sécurité nationale!



[i] Hugo De Grandpré, “Heartbleed force la suspension de plusieurs services fédéraux,” La Presse, avril 2014, sec. Affaires, http://www.lapresse.ca/actualites/national/201404/11/01-4756646-heartbleed-force-la-suspension-de-plusieurs-services-federaux.php.
[ii] “Christopher Freeman,” The Telegraph, September 7, 2010, sec. Politics obituaries, http://www.telegraph.co.uk/news/obituaries/politics-obituaries/7987544/Christopher-Freeman.html.
[iii] Christopher Freeman, Technology, Policy, and Economic Performance: Lessons from Japan (London ; New York: Pinter Publishers, 1987).
[iv] Bruno Amable, Les Systèmes D’innovation À L’ère de La Globalisation (Paris: Economica, 1997).
[v] Jorge Niosi, Canada’s National System of Innovation (Montreal ; Ithaca: McGill-Queen’s University Press, 2000).
[vi] Gouvernement du Canada Conseil national de recherches Canada, “Conseil national de recherches Canada,” page d’accueil, August 7, 2012, http://www.nrc-cnrc.gc.ca/fra/index.html.

2 commentaires:

  1. Ca tombe bien dans le plan rétrograde des Conservateurs. L'innovation doit passer par l'éducation en premier. Etre proactif, ça c'est réellement innovant.

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    1. Je suis d’accord, car les compressions budgétaires des dernières années et la restructuration qu’a entamée le gouvernement conservateur avec le CNRC (sans partager le plan d’affaires détaillé avec la population) ne sont actuellement pas un bon présage pour l’avenir de l’innovation au Canada!

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